mardi 13 avril 2010

Censure des talk shows en Italie: comment, pourquoi, par qui ?

Une forte restriction de la liberté de la presse a eu lieu dans le cadre des élections régionales et administratives italiennes des 28 et 29 mars 2010. Il s'agit de l'interdiction de transmettre les programmes d'approfondissement politique de la Rai, la chaîne de télévision publique italienne, pendant toute la période de campagne électorale.

Cette décision a été prise par la majorité de droite du Conseil d'administration (cda) de la Rai. Elle se base sur un règlement édicté par la Commission de surveillance de la Rai dont le but est d'assurer le respect du principe "par condicio", c'est-à-dire la répartition en parties égales du temps consacré par les médias aux partis politiques pendant les campagnes électorales. D'après la Commission, les programmes politiques de la Rai du mois de février ont été déséquilibrés en pénalisant les partis de droite. L'adoption du règlement serait donc devenue nécessaire pour "donner le maximum de l'information publique", explique Alessio Butti, chef du groupe de la droite (PDL) au sein de la Commission.

La décision du cda de la Rai et le règlement pour le principe "par condicio" ont suscité beaucoup de polémiques à l'extérieur et à l'intérieur de la Rai elle-même. Les médias hors de l'orbite des partis de droite condamnent l'interdiction en la jugeant une véritable censure préventive. Les journalistes des programmes intéressés, Michele Santoro d’Annozero, Giovanni Floris de Ballarò et Bruno Vespa de Porta a Porta, jugent la mesure injustifiée et inconstitutionnelle. Elle marque, d'après eux, la période la plus sombre de la télévision publique italienne, censurant de facto le débat politique dans le moment où celui-ci est le plus nécessaire à l'opinion publique. Santoro définit l'interdiction comme "une preuve de force du gouvernement sur la télévision et les journalistes". Le président du cda de la Rai, Paolo Garimberti, et le chef de la Commission de surveillance, Sergio Zavoli, désapprouvent la fermeture des programmes. "La démocratie ce n'est pas contraindre la presse au silence", commente Garimberti.

Mais il n'est pas seulement question de censure préventive. Derrière cette interdiction, il y a une question encore plus grande: l'intromission de la politique dans la Rai par l'imposition de ses cadres dirigeants. Ces cadres auraient permis la suspension momentanée des émissions politiques sur demande de Silvio Berlusconi lui-même.

Des écoutes téléphoniques témoignent de l'intention de Silvio Berlusconi de fermer le programme Annozero, qu’il définit comme "une horreur incivile et barbare", et de son aversion pour son conducteur, Michele Santoro. D'après les enregistrements, le Cavaliere voulait empêcher les émissions d’Annozero. Plus précisément, il aurait demandé au président de l'Agcom, l'Autorité garante des communications, de censurer les émissions traitant de deux enquêtes pour corruption menées sur lui. Berlusconi commente ainsi les écoutes téléphoniques: "c'est un devoir de demander à l'Agcom d'intervenir pour demander de fermer l'absurdité des transmissions de Santoro qui ne consent pas aux accusés de se défendre". Cependant, le nom de Silvio Berlusconi a été inscrit dans le registre des enquêtés du ministère de la justice à cause des pressions qui auraient été exercées afin de suspendre le programme Annozero.

En signe de protestation contre la censure, le 25 mars, Michele Santoro a souhaité organiser Raiperunanotte, une émission-manifestation, pour donner voix à l'indignation de l'opinion publique envers l'effacement momentané des programmes politiques de toutes les chaines de la Rai. Raiperunanotte a été mise en place grâce à l'Union syndicale des journalistes de la Rai (USIGRai) et par la Fédération nationale de la presse italienne (FNSI). L'émission a été diffusée sur grand écran en direct de 200 villes italiennes, dont Bologne, Rome et Naples., Elle a aussi été retransmise sur quarante télévisions locales privées, ainsi que sur Sky, Current tv, Repubblica tv et Corriere tv. Mais également sur plus de 30 radios ainsi qu'en streaming sur de nombreux sites internet. Près de 6'000 personnes ont assisté à l'émission sur le plateau de Raiperunanotte et près de 300'000 l'ont visionné à travers les différents canaux cités ci-dessus, notamment sur le Web. Selon des chiffres communiqués par les organisateurs, l'émission a obtenu 13% d'audimat. Santoro a invité des personnes qui ont déjà subi la censure de la Rai. Il a également fait une comparaison entre Mussolini et Berlusconi et a adressé une réflexion alarmante au Présidente de la République Giorgio Napolitano: "on n'est pas encore au fascisme mais certaines similitudes font préoccuper".


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